Des textes

écrits par Muriel De Borman

Altérer

Altérer : modifier l’état normal, la vraie nature de quelque chose. Altérer le cours de l’histoire.

D’une certaine manière, à un moment donné, il apparaît avec évidence que de cette vallée j’ai refusé de descendre.

J’ai refusé. Et ce refus est un récit.

Je suis encore là, face à ton sourire inquiet, le geste de ta main, tes mouvements familiers. Restée dans l’instant.

Je suis restée là, tu sais ?
Et de fil en aiguille, une part de moi est encore là.

Et je viens m’y altérer. Je viens puiser en nous.
Et du coup, le flux de cette histoire, imperceptiblement, je le dévie, tu vois. Il dévie.
Moi ? Je vais m’y altérer…
Et je reste assoiffée.

Parce que je ne serai jamais désaltérée
de toi, de vous…

On ne se désaltère jamais des autres, c’est un contresens.
On reste soi.
On reste soi et on se modifie, on se cherche assurément.

Et dans nos souvenirs émoussés, de plus en plus lointain,
dont on retisse l’assurance avec minutie, on s’altère.

On s’altère à nos souvenir
et ce n’est plus toi, ni moi, ni nous ce jour là, ce sont nos souvenirs de l’un et l’autre.
Ce ne sont plus moi, ni toi, ni nous ce jour là, ce sont nos souvenirs pris l’un dans l’autre…

C’est tragique et réjouissant parce que finalement on devient autre
et dans le même temps on se prends avec soi, on s’entraîne dans nos vies,
on puise dans nos silences et on se nourrit du fantôme des instants.
Cannibales des lieu, des geste et des parfums.
Tandis que depuis un certain temps déjà, de cette vallée, on a disparu…

Tandis que depuis un certain temps déjà,
de cette vallée, on a disparu…

Fleuve

C’est un fleuve singulier. Une singularité fluide.
Son cours a changé. Sa source opaque tient du silence.

C’est un fleuve qui résonne,
Qui fait écho à ce qui avance :
amas de branches à la dérive,
bouteilles, ballons pris de vitesse par celle du courant,
tout ce qui afflue,
Vas-t-en savoir…

Il fait écho à ce qui file, s’évapore, reste à distance.
Et dans son flux, résonne ce que tu appelles depuis la rive,
ce que tu appelles rive,
où tu amarres tes certitudes.

C’est un fleuve.
Et tes pas sur le bitume,
le vol rapide des chauves-souris dans le jour qui décline,
les reflets étranges des gouttes d’eau sous le pont,
n’y feront rien.

Les péniches bouleversent à peine ses mouvements.
Et si elles défont les flots,
laissent les effluves de fuel en suspens,
aucun trajet ne pourrait être tracé,
aucun trait prélevé de ses reflets.
Le flot vague.

Et si les ressacs érodent les rives bétonnées,
rouillent les rambardes qu’on appelle garde fous
lorsqu’il s’agit de corps, de vies, d’attractions, de soupape, de vent ;
lorsqu’il s’agit d’oscillations, d’ivresse, de désespoir, d’accidents…

Il reste ce fleuve
qui appelle ton regard,
effleure peut-être tes pensées ou tes pas,
disperse ton inquiétude.
Il ne te hèle pas, tu entends ?
Il est flot.

Il pleut

Il pleut. Avec la pluie, c’est la marge onirique du temps qui se dilate.
Alors, je me replonge dans des images mais je n’entends plus aucune voix.
Pas sure de voir grand-chose, peut-être que plus rien n’existe, que dans les projections s’épuisent les derniers soupirs de l’automne, qu’il n’y a rien.

Finalement, il reste les photographies aphones
mais il me manque les voix, les rires échangés.
Ils me manquent.
Le mouvement des regards, le contenu des voix, j’étais saoule, je crois.

Je ne me souviens plus très bien.
J’étais ailleurs.
Peut-être que ce n’était pas moi.
Peut-être que je voulais ne pas être là.
J’étais lasse.
Je baissais les bras.
Avec allure, avec orgueil, avec de moins en moins de classe et de moins en moins là, de moins en moins moi.
Je baissais la garde et mon image s’étiolait : double, diffuse, éparse.

Bientôt je ne parlais plus ou pas vraiment ou pas de manière à être comprise.
Perdue dans mon sourire perdue dans le tiens aussi, tiens.
Perdue dans ta voix dont le fil égaré collait encore à tes lèvres et était-ce vraiment toi, d’ailleurs ?

Il pleut, avec la pluie, c’est la marge onirique du temps qui se dilate.
Il pleut et comme une soupape, ce moment distendu, cet esquif fluet sur lequel je me dépose, comme chaque goutte raconte dans le reflet de cette flaque
ce que mes mots qui s’entremêlent ne parviennent pas à dire :

On peut aussi arpenter la nuit, les paysages intestins, les querelles inutiles. On peut arpenter la douceur centimètre par centimètre et finir hors des sentiers, hors du battement des vents, hors des lits des rivières.

Comme une soupape, ce moment distendu, cet esquif fluet sur lequel je me dépose, comme chaque goutte raconte dans le reflet de cette flaque
ce que mes mots qui s’entremêlent ne parviennent pas à dire :

On peut aussi arpenter la nuit, les paysages intestins, les querelles inutiles. On peut arpenter la douceur centimètre par centimètre et finir hors des sentiers, hors du battement des vents, hors des lits des rivières.

La crête

Sur la crête, les arbres nus laissent transparaître la lumière,
de loin, je suis ton ascension.
Sur la crête, les arbres nus laissent transparaître la lumière
de loin, je suis ton ascension.
J’y suis presque, presque là, à gravir la crête où ta silhouette se détache des troncs

Je t’observe de loin, je projette mon regard
et petit à petit, je ne sais plus trop, en fait, si je te vois
ou si je t’imagines…
Si c’est la distance qui fait illusion ou les troncs nus.

Sur la crête, les arbres laissent transparaître la lumière
de loin je suis ta montée
j’y suis presque, presque là, à gravir la crête
où ta silhouette se détache des troncs

Et petit à petit, peu importe, si c’est la distance qui fait illusion, je te couve des yeux

Je te couve des yeux
Et dans ce que mon regard couve, tu vois,
dans ce que tu ne vois pas,
ce que je couves et que je ne vois pas non plus,

dans cette illusion
tenant du mirage, à bout de bras :
débris de l’enfance, vertiges crépusculaires,
s’enracine l’histoire.

A distance, toute sa puissance, sous mes yeux.

Précieux
ce que je couve,
comme on dirait d’un feu.

Ce que mon regard couve,
que tu ne vois pas,
ce que je couves et que je ne vois pas non plus,
cette illusion
charrie,
les plumes, tu vois, tous les bourgeons.

Fortuit,
ce que je couve,
comme on dirait d’un feu.
Détachant les regrets, survolant la plaine,
dans la lumière du printemps.
Éclat de rosée, étincelles de l’aube, et désert tenace.

Parfois, l’obstination, philtre illusoire, se décolle,
alors il reste des histoires…
Sur la crête les arbres laissent transparaître la lumière.
De loin…